Mettre du sens dans nos innovations

“Je pense qu’il faut encourager un nouveau type d’entreprises qui, à l’instar des entreprises conventionnelles, génère croissance et création d’emplois, mais qui se distingue en préservant le capital social et écologique de l’humanité. Je crois que ces modèles d’entreprises sont plus résilients. On sent que la question de la “raison d’être” des entreprises est de plus en plus adressée et c’est tant mieux. Les entreprises doivent le faire car, au-delà du cadre légal, il s’agit d’un vrai levier pour fidéliser leurs employés. C’est un sujet de marque employeur et d’identité de marque de façon générale. Pour ne pas perdre la bataille des talents, les entreprises doivent dès à présent commencer à marcher sur deux jambes : celle de la croissance économique et celle de l’impact.”

Jean Moreau, CEO de Phenix, une startup ESS spécialisée dans le gaspillage alimentaire, lors d’un entretien avec BPI France

Une hirondelle fait-elle le printemps ?

Danone
Ceci n’est pas une hirondelle

Ou si on le formule différemment : est-ce que des signaux faibles qui nous confortent dans nos intuitions suffisent à dessiner une tendance ? Ces derniers jours, on a assisté au départ d’Emmanuel Faber, à l’annonce de l’entrée en bourse de Deliveroo alors même que la fibre sociale du PDG de Danone était perçue comme visionnaire, et que les modèles social et sociétal des plateformes à la Deliveroo sont de plus en plus décriés, quand ils ne sont pas rattrapés par la loi (voir UberEats en Italie et Uber au Royaume-Uni). Dans le même temps, Lemlist, une startup française, jouait la carte de la communication décalée en annonçant avoir décliné une conséquente levée de fonds, pour dénoncer cette seule vision capitalistique de l’innovation. Dans le secteur ESS, Emmaüs Défi a obtenu au lendemain des nouvelles restrictions sanitaires le droit de rouvrir ses magasins au motif qu’il s’agissait tout autant de commerce que d’un projet de réinsertion et de mission sociale et solidaire. Autre événement, en apparence anecdotique : Harry le duc de Sussex a décroché un poste dans une start-up californienne où il exercera le rôle de Chief Impact Officer, ou CImpO pour les initiés. La presse qui couvrait le sujet a bien entendu livré des explications sur cette fonction émergente dans la Silicon Valley, un mélange de responsable RSE, analyste-prospectiviste, et stratège RH.

Mettre du sens ? Assumer son rôle !

D’autres vont plus loin en posant que ce sont les entreprises elles-mêmes qui peuvent devenir des role models. Concept super intéressant pour les secteurs qui se redessinent radicalement, par exemple du fait du numérique. La page est blanche, ou du moins est-elle écrite à l’avance par des acteurs omnipotents que sont les big tech, désormais très surveillés et redevables de leur stratégie ; face à eux, c’est au premier qui posera une doctrine intelligible et cohérente, radicale et ambitieuse. Le terrain entrepreneurial a toujours été un outil des changements de société.

Chercher sa raison d’être, est-ce que ça n’est pas parfois assumer l’évidence, à savoir le sens que la société donne à nos actions ?

Parce qu’elles sont pionnières et parce qu’elles sont dûment observées et inspirent leur écosystème, des entreprises de grande taille, ou encore des startups dont on attend qu’elles « montrent » la voie par leurs audaces, ont en termes de vision un impact d’abord pour le secteur économique dans lequel elles opèrent. En effet, bien plus que leurs impacts environnementaux ou sociaux, c’est fondamentalement leur stratégie d’innovation, leurs choix de développement, le sens et le récit qu’elles donnent et font de leurs activités qui sont à même d’infléchir les orientations que prendraient une industrie ou un secteur, parce qu’elles créent un précédent, parce qu’elles s’érigent en référence.

Pas de conclusion, des questions

Est-ce que les années prochaines de récession vont voir ces sujets du temps long se transformer en stratégie payante pour les entreprises, c’est-à-dire valorisable et rémunératrice? D’abord parce que la crise économique, et la reprise qui suivra nécessairement, vont redéfinir des pans entiers de l’activité économique. Cette notion d’impact permettrait-elle enfin d’aligner les temps parfois inconciliables de la vision et de la stratégie qui en découle avec les actions immédiates ? Dans ce contexte, le besoin de droit ne sera-t-il pas le premier des leviers ?

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